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répertoire IF d'étude de cas en montage et gestion de projets d'architecture + urbanisme
 
 
 

 

De la gestion autodidacte à la gestion professionnelle et la gestion de la durabilité des projets d’architecture

Sept. 2008

Gonzalo Lizarralde

Pendant les 20 dernières années, l’industrie canadienne de la construction - comme beaucoup d’autres industries - a été influencée par l’émergence de la gestion de projets en tant que pratique professionnelle. L’émergence de la gestion professionnelle du projet d’architecture a modifié, particulièrement dans les projets d’envergure, les responsabilités du contrat de design architectural et, parfois, la façon de travailler de l’équipe temporaire du projet, c’est-à-dire de la multi-organisation temporaire. Ainsi, certaines tâches qui étaient auparavant transférées (souvent de façon informelle et non pas de façon contractuelle) à l’architecte « designer », tels que le suivi des budgets et des échéanciers de construction, la rédaction des appels d’offres des sous-traitants, la supervision de consultants, la médiation avec les constructeurs et la consultation pour la rédaction des contrats, commencent à être reconnues comme des responsabilités du gestionnaire de projet. De plus en plus, même les petits projets commerciaux, institutionnels et résidentiels au Québec suivent ce changement.

Pour les clients exigeants de ces nouveaux projets, il ne s’agit plus de transférer à l’architecte la responsabilité de représenter le client auprès les autres participants de l’équipe ni de défendre ses intérêts sur le chantier. Ils demandent la présence d’un conseiller spécialisé, détaché du contrat de design architectural; d’un professionnel en gestion capable d’intégrer, de négocier et d’agir de médiateur entre le groupe de design et le groupe de construction.

Dans ces projets, le rôle classique de l’architecte « représentant du client » n’est pas suffisant. « Lorsque l’architecte prépare des estimations du coût des travaux pour le client, il ne peut pas garantir l’exactitude de ces estimations puisque les questions de coût ne relèvent pas du contrôle de l’architecte » explique l’Institut royal d’architecture du Canada dans la formule canadienne normalisée de contrat entre client et architecte Version abrégée (IRAC, 2005 ). En réponse, les nouveaux clients cherchent aujourd’hui un professionnel capable de faire le contrôle et le suivi des processus et des divers participants de la multi-organisation temporaire.

En plus des gestionnaires consultants, les firmes d’architecture, les promoteurs et les bâtisseurs reconnaissent l’importance d’avoir des chefs de projets « in house » spécialisés en montage, planification et gestion. Mais non pas tous ces chefs de projet sont encore des professionnels en gestion. Nos exemples démontrent que plusieurs architectes, promoteurs et bâtisseurs participent encore à la planification, au montage et à la gestion à partir des connaissances gagnées de façon spontanée dans la pratique de la construction. Cependant, de plus en plus, ces gestionnaires autodidactes « de métier » (souvent des professionnels seniors avec une longue expérience de chantier) trouvent la concurrence des jeunes professionnels formés et certifiés en gestion de projets. Bien que certains peuvent voir cette transformation comme un risque, il s’agit en réalité d’une grande opportunité pour (a) l’industrie québécoise du bâtiment, qui commence à répondre de façon plus spécialisée à des problématiques complexes, et (b) pour l’architecte-gestionnaire, qui voit reconnue sa participation plus large (et donc avec plus d’influence) sur le projet d’aménagement.
On ne peut pas (encore) attacher une meilleure performance à la gestion, le montage et la planification dite « professionnelle » par rapport à celle « autodidacte » ou « de métier ». Cependant, on remarque des différences importantes sur la pratique et les moyens de gestion de chacune. Pendant que la gestion professionnelle se base sur des méthodes structurées et souvent formalisées (par le Project Management Institute), la gestion « de métier » fait appel à l’expérience et l’intuition du gestionnaire. Dans cette dernière la personne devient aussi importante que - et inséparable de - la méthode. Bien sur, il s’agit donc d’une approche à haut risque dans laquelle le succès de la démarche dépend du succès individuel du professionnel en charge. Les formules popularisées par les guides de gestion restent encore trop « mécaniques » et donc détachées des particularités les plus fines des capricieuses attitudes humaines qui caractérisent l’interaction des participants de l’industrie. Cependant, une structure claire pour la création de connaissances en gestion de projets et pour l’enseignement de celles-ci a déjà influencé les générations de professionnels qui sont aujourd’hui responsables de la prise de décisions sur la ville et ses bâtiments.

Mais le jeune domaine de la planification, le montage et la gestion professionnelle de projets de construction suit aussi des changements rapides au Québec. Il y a à peine quelques années, les premières générations de gestionnaires de profession (et d’ailleurs la plupart des guides de gestion encore utilisés aujourd’hui) se concentraient sur la gestion des coûts, du temps et de la qualité du projet. Les plus récents projets de construction au Québec montrent une préoccupation de plus en plus marquée de la part de clients envers les considérations de la durabilité et de la responsabilité environnementale.

Certains pourront dire que ces considérations « vertes » ne sont que des variations des exigences sur la qualité dans une période d’analyse plus longue. Cependant, ces projets récents démontrent que ces considérations de durabilité et de responsabilité environnementale sont différentes des exigences classiques de qualité. Des nombreux projets se dotent aujourd’hui d’un esprit de gestion « durable » visant le développement de produits et de processus responsables envers l’environnement et les générations futures. Il ne s’agit plus de répondre à des critères de qualité définis par la réglementation ou par le niveau de satisfaction de l’usager ou celui du client. Il s’agit plutôt d’un intérêt (altruiste ou commercial) de créer une pensée en gestion différente dans laquelle on ne s’intéresse pas seulement à la qualité du produit final sur une échelle de temps plus longue mais aussi à la qualité du processus dans un but de responsabilité sociale.

Pendant les cinq dernières années, le grif a recueilli plus de 60 études de cas de projets de construction récents au Canada (la plupart au Québec). Le "lancement" du répertoire IF d’études de cas en montage et gestion de projets d’architecture + urbanisme présente une sélection de sept projets qui représentent les deux tendances les plus significatives que nous venons de décrire. Afin de mieux comprendre l’envergure de ces changements dans le domaine du montage et de la gestion, la sélection de projets inclut des initiatives publiques et privées. Les études de cas incluent des initiatives immobilières, commerciales, hôteliers, et institutionnelles. Nous avons considéré aussi des projets de grande envergure et des projets de petite envergure. Sept projets qui nous permettent d’illustrer un bilan sur la pratique actuelle de la gestion de projets d’architecture au Québec en jetant un coup d’œil à ce qui se passe en général au Canada.

Le lecteur trouvera rapidement que les défis de gestion de chaque projet dépendent des enjeux urbains, économiques, architecturaux et environnementaux de chaque exemple. Chaque étude de cas cherche donc à mettre en évidence précisément ces différences et d’expliquer la façon comme ces enjeux ont été gérés dans chaque projet. Cependant, nous laissons à chaque lecteur la liberté de faire sa propre opinion par rapport à la performance des projets et de choisir quelles sont les meilleures pratiques de gestion utilisées.

Bien entendu, ces initiatives de gestion suivent les tendances urbaines, du marché et de développement de ses régions. En pleine transformation urbaine du centre-ville de Montréal, un grand nombre de projets choisissent de réutiliser des bâtiments industriels pour exploiter leur caractère ancien et leur volumétrie généreuse dans un but commercial à caractère résidentiel. Il s’agit bien souvent d’offrir à un groupe select de jeunes clients les avantages de rester près du centre-ville dans des condos (lofts) haut de gamme. Cependant, dans le projet de transformation de la biscuiterie Viau, une initiative immobilière privée visant la réutilisation d’un ancien bâtiment industriel, les responsables du projet ont aussi ajouté des condos abordables. Il ne s’agit plus d’un projet comme tous les autres, les auteurs de cette étude de cas nous montrent la complexité de la gestion d’un projet de recyclage urbain ayant un contenu « social ».

Projet public à caractère institutionnel, le Pavillon Espace 400e a été conçu pour le 400e anniversaire de la ville de Québec en prévoyant son ouverture pour le 16 juin 2008. En 2005, un consortium de design composé par la firme de Dan S. Hanganu architectes et Côté Leahy Cardas architectes a remporté l’appel d’offres public. Dans ce projet, le client intègre un processus de planification et de contrôle de critères environnementaux et de durabilité LEED sans toutefois effectuer la démarche pour obtenir l’accréditation. Cependant, un esprit de responsabilité « durable » déterminera le type de gestion utilisé et le produit construit.

Probablement l’élément le plus important du projet des nouvelles installations pour le Collège Marianopolis (un projet privé à caractère institutionnel) est qu’il se situe dans la ville de Westmount. Face à un problème de manque d’espace dans les installations du collège, le client a choisi la rénovation et l’agrandissement de la maison mère de la congrégation Notre-Dame. Ce projet devra concilier les besoins des sœurs et des étudiants au même temps qu’il devra chercher à respecter la valeur patrimoniale du bâtiment de la maison mère dans une municipalité bien connue pour avoir une des politiques de conservation de l’environnement bâti des plus sévères au Québec. Les auteurs de cette étude de cas nous expliquent avec clarté les enjeux de gestion dans cette situation.

Malgré que sa façade a été cachée pendant huit décennies par un bâtiment commercial sans intérêt architectural, l’église St-James est toujours restée comme un élément important du patrimoine religieux québécois. La réhabilitation de l’église, située en plein centre-ville de Montréal, deviendra donc un projet à caractère institutionnel fait par des partenaires privés ayant le soutien économique du gouvernement. La réhabilitation de l’église et le dégagement de la façade principale devront concilier deux logiques parfois antagonistes mais très fréquentes dans les projets d’architecture situés dans les villes québécoises : un intérêt commercial (qui demandera des engagements avec un promoteur privé) et un intérêt du respect du patrimoine architectural. Dans cet exemple, ces deux critères guideront une démarche de gestion complexe et une solution architecturale et urbaine représentative d’un processus décisionnel difficile.

Le cas du projet Fabbrica est un exemple significatif des nouveaux projets privés au Québec faisant appel à une approche de gestion innovatrice. Cherchant à sécuriser sa survie dans un marché de plus en plus exigeant, un bureau d’architectes « designers » a décidé d’innover dans sa façon de travailler et de devenir son propre client, au lieu de dépendre des offres ponctuelles de clients extérieurs. L’architecte est donc devenu le promoteur, le dessinateur, le gestionnaire et le responsable de marketing dans une initiative de réutilisation d’un bâtiment industriel. Les capacités de gestion des architectes pour résoudre les conflits et les difficultés dans le processus seront mises à l'épreuve au maximum dans ce projet.

Que peut-il arriver quand un client-promoteur expert et bien informé décide de continuer à renforcer un des plus ambitieux programmes de développement touristique au Canada et dans lequel il contrôle - à peu près - toutes les variables? S’agit-il d’une réduction significative des risques? Le cas de la construction de l’Ermitage du Lac dans le Versant Sud du Mont-Tremblant par la compagnie Intrawest exemplifie de façon très intéressante cette situation particulière et permet de répondre à ces questions. Dans un environnement très contrôlé, les variables de gestion trouvent ici une autre signification dont beaucoup de leçons peuvent être apprises.

Les bâtisseurs savent bien qu’il n’est jamais facile de construire un nouveau bâtiment dans des espaces résiduels et étroits entourés par plusieurs structures existantes. Mais les moyens de « gestion de la sécurité » sont poussés au maximum quand – en plus des bâtiments - on ajoute des enfants écoliers sur le chantier. Voilà les grands défis de l’agrandissement et la rénovation du Collège International Marie de France à Montréal. Écrit de façon claire et agréable, cette étude de cas exemplifie les enjeux de la gestion des projets de rénovation, agrandissement et nouvelle construction pour un client fort complexe.

Qu’il s’agisse des clients experts, autodidactes, ambitieux ou innovateurs ces exemples nous montrent un portrait des exigences du marché de la construction au Québec. Conduits par des critères économiques, altruistes, ou par des intérêts personnels, ces clients font, de plus en plus, appel à des professionnels spécialisés capables de comprendre la complexité des responsabilités des participants de l’équipe du projet. Les études de cas nous montrent que l’industrie de la construction est soumise à des défis grandissants qui demandent des architectes mieux préparés sur les aspects de montage, planification et gestion de projets.

Institut royal d’architecture du Canada (2005). Formule canadienne normalisée de contrat entre client et architecte Version abrégée.


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